L’ Amour est mort

J’ouvre les yeux et un immense soleil m’éblouit alors. Quel merveilleux moment que de se réveiller en plein air avec le chant des oiseaux et l’herbe fraîche servant de lit. Mais attendez, comment me suis-je retrouvée à dormir dehors ? Je n’étais pourtant pas ivre hier, et puis qu’est-ce que j’avais fait de ma journée déjà ? Je ne m’en rappelle plus. C’est donc mon ventre qui me ramène à la réalité en me rappelant qu’il est sûrement l’heure du petit déjeuner. Mais lorsque je me lève, un énorme mal de crâne me prend soudain ; j’en déduis donc que je ne devais sûrement pas être dans mon état normal la veille. Une fois debout, j’observe tout autour de moi et découvre un superbe jardin avec à ma droite une jolie petite fontaine entourée de rosiers de roses rouges. Je tourne ma tête à gauche, et une allée d’arbres fruitiers me fait face. L’endroit est tellement splendide et semble tellement féérique que mes pieds s’y dirigent instantanément. Sur le chemin, j’attrape une grosse pomme et la croque à pleine dents ; son jus acide dégouline alors sur mon menton et coule le long de mon cou. Hmmm, elle est délicieuse… Arrivée à la fin de cette allée, je trouve une source d’eau d’un bleu incroyablement clair que je n’ose même pas y tremper mes mains. Mais c’est étrange, je suis absolument sûre de n’avoir jamais vu ce jardin de ma vie, ni même en photo. Et le plus intrigant c’est que je ne vois aucune maison nulle part, c’est à devenir fou ! Et mon ventre qui ne cesse de crier famine ! Je décide alors de revenir vers la fontaine pour me remettre les idées dans l’ordre et me rafraîchir un peu. Une fois là-bas, à ma plus grande surprise, un petit panier m’attend, et, étant donné que je ne suis pas le genre de fille à être très méfiante, je saute immédiatement sur l’occasion. Et quel régal, tous mes petits plats préférés sont là ! Stop ! J’ai dit « tous mes petits plats préférés » ? Cela veut dire que la personne qui me les a apportés me connaît, et même très bien. Peut-être que c’est ma mère ? Non elle n’aurait jamais joué à cache-cache avec moi, elle serait déjà venue me voir. Ou bien mon père ? Impossible, il ne sait même pas si je déjeune le matin… Ohhh mais qu’est-ce que je suis bête, c’est certainement Luke : il n’y a que lui qui sait que j’adore les tartes au citrons meringuées ! Et ce jardin mystérieux doit sûrement être une surprise, peut-être qu’il compte enfin me demander en mariage ! En tout cas, quelles que soient ses motivations, son repas me donne envie de dormir, à croire qu’il a mis des somnifères dedans… J’espère juste qu’à mon réveil, il sera là à me regarder en souriant, comme si j’étais la Belle au Bois dormant et lui le Prince.

***

J’ouvre les yeux petit-à-petit… il doit sûrement être quatre heures de l’après-midi… À mon plus grand étonnement, le jardin « magique » a disparu pour laisser place à un paysage noirâtre. Les jolis petits oiseaux ne sont plus de jolis petits moineaux, mais des corbeaux. Les roses rouges ont toutes fané et leurs pétales sont au sol entourant ainsi la tombe de je-ne-sais-qui, remplaçant la belle fontaine de ce matin. J’ai peur. Je suis seule dans un endroit inconnu et sans issue, et le pire c’est que je dois sûrement être surveillée. Soudain, un bruit me fait sursauter : je ne cherche même pas à savoir ce que c’est que je cours déjà vers l’allée. Quand tout d’un coup, je reçois en pleine figure une feuille, ou plutôt une photo. Je la ramasse et y découvre un visage d’homme aux cheveux bruns et aux yeux marrons. Un homme assez banal, plutôt charmant, mais avec un air qui m’est familier. Une deuxième photo tombe du ciel et c’est avec horreur que je nous y vois, l’homme et moi, souriant aux éclats dans ce même jardin avec en second plan la jolie fontaine et ses rosiers. Je jette cette image par terre et part troublée. Tout en marchant, je ne cesse de réfléchir aux événements qui viennent de se passer, j’ai comme l’impression de faire un mauvais cauchemar. Mais finalement, je me rends compte que cette journée est bien réelle qu’une fois après avoir trébuché et plongé dans la source que je croyais potable. Mais cette dernière s’est transformée en un lac rouge sang. Je me précipite dehors le plus vite possible, les mains tremblantes. Mon souffle s’accélère, mes larmes coulent, j’ai la tête qui tourne et une envie de vomir qui me remonte à la gorge. Ça y est, je me rappelle de tout. Je l’ai tué. J’ai tué Luke de cent coups de couteau puis je l’ai poussé dans cette source, dans ce même jardin. Tout ça parce qu’il ne m’aimait pas et qu’il m’avait demandé d’être le témoin de son mariage avec Sarah. Il n’avait pas le droit de me faire cela ! J’étais folle amoureuse de lui ! Je tombe par terre en pleurant et hurle toute la haine que j’ai gardée en moi en m’arrachant les cheveux jusqu’à ce que je sente de l’agitation autour de moi et plusieurs mains m’attraper. Je sens que l’on m’enfonce quelque chose dans le cou et c’est alors que je perds conscience.

 

« Eh les gars, faites gaffe avec les médicaments, je ne veux pas qu’elle meure ; je veux que demain elle souffre autant qu’aujourd’hui, crie une jeune femme, je vous rappelle qu’elle a tué mon homme ! »

 

J’ouvre les yeux et un immense soleil m’éblouit alors. Quel merveilleux moment que de se réveiller en plein air avec le chant des oiseaux et l’herbe fraîche servant de lit.

 

Yasmine Lamhaouar et Assma Lahouel, 1èreS 2

Le jardin secret

J’ouvris les yeux. Encore une fois, j’étais seule face au long chemin de sable. Comme d’habitude, la grande fontaine au bout déversait ses flux gigantesques. Je devais marcher pour atteindre l’arche fleurie à quelques kilomètres afin de pouvoir pénétrer dans mon refuge. Chaque pas était douloureux, toujours la même douleur d’ailleurs, comme si mes articulations étaient rouillées depuis plusieurs années et que mon corps pesait cinq tonnes. Je sentais mes épaules, ma poitrine très lourdes, comme si elles supportaient un poids. Mes tempes me brûlaient mais je persistais ; je devais atteindre l’arche pour enfin trouver le repos. Je me rapprochais avant d’apercevoir l’allée de tournesols et les souvenirs me revinrent. Mon orgueil a toujours été mon pire défaut d’après mes proches ; il m’a sans doute valu beaucoup de problèmes. Mais pas mon entrée ici. Devant moi, l’arche fleurie était dressée majestueusement. Les roses blanches entrelacées dans des feuilles et des lianes vertes donnaient un côté pur, reposant à ce lieu. C’était d’ailleurs pour cette raison que je m’y sentais aussi prospère, détendue. Sous l’arche, le chemin de sable se séparait en deux : à droite il continuait très loin et à gauche, il menait à mon refuge entouré de buissons touffus afin de garder le lieu clos. Comme d’habitude, je m’apprêtais à emprunter ce chemin-ci, continuer quelques mètres, entrer dans le carré clos, puis à nouveau voir le noir, le vide. Seulement, cette fois-ci, particulièrement, j’avais eu envie de changement et de découvrir enfin ce qui se cachait dans le mystérieux et inconnu côté droit. Je ne savais pas où est-ce qu’il terminait, ni ce qui s’y trouvait mais le mystère m’attirait. L’arche était faite de roses blanches, sûrement un signe du mystère de ce chemin pour moi. Alors, pour la première fois, je le pris. En continuant quelques mètres, des œillets blancs étaient plantés en rangées de deux. Deux ans, l’âge auquel j’ai perdu ma mère, sans doute le premier basculement de ma vie. Mon père a toujours été là pour mes frères, mes sœurs et moi mais cela ne remplacera jamais réellement l’amour maternel. Je n’avais jamais réellement éprouvé le sentiment d’être protégée, aimée si fort que l’on donnerait sa vie pour moi. C’est pourtant ce qu’éprouve une mère pour son enfant, ce lien si unique que je n’ai jamais connu. Ma mère m’avait sans doute aimée, pendant ces deux premières années, beaucoup de photos en témoignaient, elle me serrait fort contre elle, comme si on allait m’arracher de ses bras. Seulement, la mort m’avait arrachée d’elle et personne ne pouvait changer ça, mis à part peut-être le chauffeur du camion qui l’avait percutée ce soir d’hiver… Mais je ne cessais de penser que chaque évènement arrive pour une raison, cela devait se passer comme ça et pas autrement. J’avançais encore quelques mètres et je fus arrêtée par une lignée de myosotis, mon enfance… J’étais toujours oubliée, jamais remarquée. À l’école, j’étais la petite fille timide, avec le regard triste, qui ne prononçait jamais un mot. Mes camarades de classe se moquaient sans arrêt de moi, ils me trouvaient bizarre. Je l’étais en effet : j’aimais rester seule et je n’avais aucun ami, mais ce n’était pas une raison pour m’enfermer dans le placard, cacher mes vêtements, me faire tomber ou autres tortures que j’endurais. Sinon, c’était l’oubli. Mes professeurs ne se rappelaient jamais mon prénom, me laissaient dans la classe, ne me distribuaient pas de travail… Je n’avais certes pas eu la plus merveilleuse des enfances mais ma famille avait été là pour moi, pour me sauver. Du moins pour l’instant. Je continuais mon chemin et plus j’avançais, plus je sentais mon corps léger. C’était une agréable sensation, je ne m’étais pas sentie comme cela depuis que tout avait commencé, ou plutôt fini. De toute façon, le début d’une chose est forcément la fin d’une autre : lorsque quelque chose s’arrête, en commence une autre et lorsque commence une chose, une autre s’arrête et ainsi va la vie et même la mort. Mes pas, toujours réguliers continuaient et j’avançais droit devant, sans m’arrêter, déterminée à savoir ce qu’il se trouvait à la fin de ce chemin, avant d’être arrêtée par un arbre à muguets. L’odeur, très agréable, se répandait dans l’air à chaque fois qu’un coup de vent venait faire voler les branches fines et vertes de l’arbre. Le muguet était ma fleur fétiche, elle symbolise la réussite. Ma réussite scolaire commença d’ailleurs dès mon plus jeune âge. Mes professeurs avaient toujours remarqué une certaine avance dans ma façon de réfléchir, ils me qualifiaient de « surdouée ». J’étais aussi d’une très grande maturité et je réussissais à comprendre des choses que mes camarades ignoraient. Cela me valut le saut de deux classes en primaire et enfin commença mon bonheur. Au moment où je pensais ceci, j’aperçus une allée d’iris jaunes, symbole du bonheur. En effet, le saut de ces deux classes en primaire fut une bénédiction pour moi. Je me retrouvais enfin avec des personnes de mon niveau de maturité avec qui il était agréable de discuter et qui ne m’ennuyaient pas, ni me jugeaient ou se moquaient. J’avais enfin rencontré des personnes de confiance avec qui j’ai tissé de réels liens qui ont perduré les années scolaires suivantes. Aller à l’école était enfin devenu un réel plaisir pour moi et j’avais beaucoup de chance car ce n’est pas le cas de tous les enfants. Enfin, ces rencontres m’avaient appris les valeurs essentielles de la vie et du vivre-ensemble telles que la solidarité, l’esprit d’équipe, la tolérance et encore tellement d’autres belles choses… Jusqu’à ce qu’un immense eucalyptus me coupe dans mes pensées. L’eucalyptus, le voyage… Et en effet, cela fut un autre bouleversement de ma vie. Alors que ma vie commençait enfin à me plaire et que je m’adaptais à mon environnement, je dû aussitôt le changer. Mon père accepta une mutation aux Etats-Unis. Un nouveau pays, un nouveau paysage, une nouvelle mentalité, une nouvelle langue… une nouvelle vie s’offrait à moi. Ce nouveau départ pouvait paraitre excitant, mais j’étais en réalité effrayée de quitter mes habitudes et mon quotidien pour aller m’installer ailleurs. La routine est parfois lassante mais en réalité elle nous rassure et nous permet de vivre en sécurité, sans la crainte qu’un évènement vienne bouleverser notre vie. Ce voyage était pour moi ce bouleversement. Un plant de chrysanthèmes sur mon chemin vint d’ailleurs me rappeler la douleur que furent les adieux. Dire adieu à mes amis, mes professeurs, et toutes les magnifiques personnes qui faisaient partie de ma vie à cette époque était en effet une grande douleur pour moi. Mais malgré tout, je m’envolais pour cet endroit inconnu. L’arrivée fut assez difficile en effet : le temps d’adaptation à la nouvelle culture fut assez laborieux mais le mode de vie décalé me fascinait énormément. Je n’avais jamais connu de changement aussi radical de ma vie et cette expérience fut particulièrement enrichissante pour moi. L’apprentissage de la langue ne me posa aucun problème, bien au contraire, ce fut très amusant. Le plus difficile était pour moi le mal du pays qui commençait à se faire ressentir dès les premiers mois. Je continuais mon chemin dans ce jardin ainsi que dans mes pensées lorsque j’aperçus un plant d’anémones : « Après la pluie, vient le beau temps » et c’était le cas car malgré les débuts difficiles, je n’allais pas tarder à faire mes preuves. Quelques temps après notre arrivée, mon père m’avait inscrit dans une école de théâtre, afin de corriger ma timidité. En effet, j’étais une adolescente très renfermée depuis que j’avais quitté mon pays natal, mon quotidien, mon école, mes amis… Ma timidité ne me posait pas de problèmes, mais mon père la voyait comme un frein à ma vie sociale et il pensait qu’elle « m’empêcherait de faire des grandes choses ». Mes cours de théâtre commencèrent donc, et, dès le premier, ce fut une révélation pour moi. Malgré le fait que je sois réservée, j’avais une grande aisance sur scène et cette aisance dégageait en moi un charme qui plaisait énormément au public. J’allais d’ailleurs, au début de la vingtaine, très vite me faire remarquer sur scène par un grand producteur. Et encore, une fois, du muguet, de la réussite et elle s’offrait particulièrement à moi, telle une bénédiction. Il y avait mon nom sur toutes les affiches, j’étais invitée à des évènements très prestigieux, je rencontrais des personnages très célèbres… Je n’avais plus une seule seconde pour moi et j’étais toujours très occupée. Ma famille ainsi que mes amis me le reprochaient constamment mais lorsque l’on choisit de mener une telle vie, on doit accepter les bons comme les mauvais côtés bien qu’ils soient beaucoup moins nombreux. Je vivais un rêve et j’avais tout accompli seule mais j’étais loin de me douter que c’était ce choix de vie, qui allait me détruire. Encore une fois, je vis des œillets, symbole du malheur dans lequel j’allais plonger. J’enchaînais les tournages, les interviews, les soirées, sans me reposer. Je manquais de sommeil et le surmenage ainsi que la pression ne faisaient qu’empirer mon état. Lorsque l’on vous voit comme une personne influente, puissante, supérieure, on a tendance à le penser et à surestimer ses capacités. Je pensais que rien ne pouvait me fatiguer, me blesser. Je repoussais donc sans cesse mes limites et j’accumulais la fatigue ainsi que le stress. Je m’en rendis compte lorsqu’en plein milieu d’un tournage, je m’évanouis devant toute l’équipe y compris mon producteur. Le bilan fut catastrophique : fatigue, stress, carences alimentaires, maigreur inquiétante… Mon producteur préféra me laisser me reposer quelque temps, avant de reprendre les tournages. Et ainsi commença ma fin. J’étais seule, malade, épuisée. Je réalisais aussi que je n’étais en réalité que moi-même, un être humain comme les autres, que je n’avais pas de capacités supérieures. Je torturais mon cerveau avec ces réflexions, j’étais fatiguée et je voulais juste trouver le repos. Alors, j’ai commencé à augmenter ma consommation d’alcool et d’autres substances du genre. Etais-je devenue accro ? Je ne le sais pas, et je ne le saurai jamais car à nouveau, des œillets blancs puis du noir et ce jardin. J’arrivais à la fin de ce chemin qui était ma vie, courte mais pleine d’aventures. Je ne savais pas quoi faire à présent : attendre que quelqu’un vienne me délivrer ? Mais je savais que j’étais entrée dans un endroit d’où l’on ne revient jamais. J’avais emprunté le chemin de droite, où je me sentais si légère, si apaisée… Le chemin de gauche que je considérais comme un refuge était-il en réalité mon purgatoire ? L’endroit où je purgeais mes mauvaises actions et où je laissais mes mauvaises ondes afin de pouvoir entrer dans un endroit meilleur ? Je n’avais jamais réellement pratiqué la religion de mon vivant mais je vivais avec cette foi, au plus profond de mon cœur. Cette foi qui me rassurait et qui me promettait que, quoi que je fasse, et que quelques soient mes choix, tout irait pour le mieux. Cette foi m’avait accompagnée à chaque instant, du début jusqu’à la fin. Si je devais arriver ici, c’est parce que c’était prévu ; on devait me reprendre. Je ne pouvais plus demeurer dans cette tristesse et la fin était la seule échappatoire, le seul remède à ce mal. C’était la fin de cette vie mais le début d’une autre qui allait être, j’en étais sure, très prospère. Peut-être que comme on dit, mon jugement viendra, mais je ne savais pas quand. J’étais juste heureuse d’avoir enfin trouvé la tranquillité et le repos. Je ne pouvais plus continuer d’avancer, le chemin était terminé.. Mais une lumière blanche descendit du ciel dont la clarté m’attirait. Comme entourée d’un halo, je vis au bas de ce flot lumineux la femme qui me prenait dans ses bras sur mes anciennes photos. Ma mère était là devant moi, elle m’attendait avec un sourire chaleureux, confiant et même familier, comme si elle avait vécu avec moi toutes ces années : « Viens vers moi, ici, tu trouveras enfin le repos… ».

 

 

Manel Toukabri, 1èreS 2

 

Un petit coin de paradis

Je fus tirée du sommeil par Zoé qui me secouait l’air amusé. « Bah alors la marmotte ?! La journée n’a pas été trop épuisante pour toi ? » me dit-elle en me décoiffant. C’est vrai que sur ce point elle n’a pas tort. Pour sa fête d’anniversaire, Zoé avait, comme à son habitude, vu les choses en grand. Tout son répertoire avait été invité à sa soirée. Et bien sûr, elle avait besoin de mon aide pour tout réparer. « Tu sais que tout le monde est parti depuis au moins un quart d’heure ? Je ne t’ai pas vue avec les invités aujourd’hui, la fête t’a plu au moins ? » continua-t-elle en se dirigeant vers la terrasse pour rassembler les derniers gobelets en plastique. J’ai hoché la tête, je n’étais pas encore assez réveillée pour lui mentir ouvertement. Nous avons beau être très proches, Zoé et moi sommes radicalement différentes. Elle aime sortir, rencontrer du beau monde….Pas moi ! Nos amis communs nous surnomment même « le jour et la nuit ». « Tiens, peux-tu passer un coup d’éponge sur la table? » Zoé venait de me remettre une éponge dégoulinante d’eau et de liquide vaisselle avant de repartir en trottinant dans la cuisine pour ranger les derniers objets qui trainaient. La nuit était presque tombée, la lune nimbait le jardin d’une douce lumière blafarde et le petit espace de verdure si propret de Zoé s’emplissait peu à peu d’une odeur de nuit. C’est Zoé, ou plutôt le bruit de ses talons hauts, qui me tira une nouvelle fois de mes pensées. Deux grandes tasses d’une mixture inconnue à la main, elle s’assit à côté de moi et m’en tendit une. « C’est une tisane détox spéciale » me dit-elle pour m’inciter à boire son mélange digne des plus grandes sorcières. Zoé balançait ses jambes comme si elle se trouvait sur une balançoire – elle n’a jamais su rester en place – et ses yeux fouillaient frénétiquement le paysage pour trouver un sujet de conversation qui la sortirait de ce silence qui devait sûrement l’angoisser. Au bout d’une dizaine de secondes, elle arrêta de remuer : elle avait trouvé son sujet. « Que penses-tu du jardin ? peut-être qu’il faudrait investir dans de nouveaux arbustes pour la haie ? »  Je ne m’étais jamais véritablement intéressée au jardin ; c’était Zoé qui s’en chargeait et je n’avais même pas remarqué la petite rangée d’arbustes qui cachait à peine le grillage rouillé du voisin. « Que veux-tu que je dise ? » je n’ai jamais été une grande paysagiste.  « Et bien, je ne sais pas ! Dis-moi si le jardin te plait ou si tu penses que je pourrais améliorer des trucs ! Parfois j’ai l’impression de tout choisir toute seule dans cette maison ! ».

J’ai levé le nez de ma tisane pour observer plus attentivement le jardin. Je n’avais jamais fait attention mais au premier regard, j’apercevais un jardin complet, original et coloré. Il était cerné de haies bien taillées ; on voyait des mélanges de roses et de pivoines. Il y avait plusieurs arbres où dormaient des oiseaux aux plumages chatoyants. Il y avait aussi d’autres animaux dont j’entendais les petits bruits étouffés par les buissons. Tout autour, des fleurs apportaient un doux parfum printanier à ce paysage. J’avais une petite préférence pour la fleur d’abricotier qui sentait particulièrement bon. On entendait aussi le son des pétales qui tombaient dans le petit étang. Des plantes exubérantes foisonnaient tout autour de nous. L’odeur de l’herbe fraîchement coupée embaumait. Les arbres formaient un dôme protecteur au-dessus du jardin qui laissait passer des raies argentées de lumière lunaire. Leurs douces fleurs pastel dansaient au gré du vent. Il y avait un parfum envoûtant. La pelouse était douce. Ce jardin était calme et paisible. Je venais de comprendre Zoé pour qui ce jardin était un petit paradis sur Terre.

Même si je ne la regardais pas, je pouvais voir ses grands yeux pendus à mes silences, en attente d’une réponse qui, à son goût, tardait à venir. Zoé avait tellement à cœur de bien faire qu’elle ne s’apercevait même pas qu’un cauchemar se cachait derrière son jardin de rêve. Elle ne savait pas qu’elle et ses amies en talons hauts avaient contribué à la destruction d’un impressionnant réseau de galeries souterraines créé par les lombrics dans l’herbe. Les pauvres vers dont les tunnels avaient été détruits par des lances et des aiguilles étaient à la merci des prédateurs du ciel. Elle ne s’apercevait pas non plus que son potager était en réalité le lit de mort d’un génocide de gastéropodes empoisonnés par les petits grains bleus, soi-disant sans danger, censés repousser les limaces et escargots trop gourmands. Les pauvres rampants avaient payé au prix fort leur trop grande gourmandise.  La chaine alimentaire ainsi perturbée, les hérissons affamés partaient en exode vers une terre plus accueillante. Zoé était une meurtrière, le dictateur de son petit pays qu’elle voulait sans fausses notes. Au revoir chères araignées au physique disgracieux si mal aimées. Si vous n’avez pas encore été écrasées, je vous conseille de vous évader de cette ile hostile où les vrais tueurs sont rois. Même les guêpes tant redoutées ne pouvaient lutter face au sort que leur réservait cette contrée. Elle ne remarquait pas non plus que toutes ses petites lampes qui éclairaient la terrasse berçaient de tendres illusions éphémères et autres papillons nocturnes. L’éclatante lumière attirait les coléoptères qui, comme Icare s’approchant trop près du soleil, se brulaient les ailes et faisaient le « grand saut ». Tandis qu’au sol l’arrosage automatique qui gardait la pelouse bien verte, faisait pleurer le ciel et noyait, à chaque utilisation, telle une vague déferlante, les petits insectes sans défense.

« Alors ??? Qu’est-ce que t’en dis ? » C’était Zoé qui commençait à s’impatienter. Prise au dépourvu face à tant de malheurs et de drames, les seuls mots que je pus lui dire furent : « C’est un vrai petit paradis ». Zoé se mit à glousser. Pour lui offrir quelques minutes supplémentaires de discussion, je lui dis alors « Et pourquoi tu ne rénoverais pas le vieux barbecue ? Comme ça la prochaine fois que tes amis viendront, tu pourras faire des grillades. ». Alors Zoé fit un bond et s’écria : « Ah non ! Pas de grillades dans mon jardin ! Tu sais bien que je suis végan. Je ne peux pas supporter que l’on tue des animaux pour notre bon plaisir ! ».

 

 

Cloé Plaquet et Yasemin Can, 1èreS 2